Ruptures de stock, réduction des coûts… L’enseigne de surgelés Picard prend (un peu) froid (via leparisien.fr)

Inflation oblige, après l’euphorie des années Covid, l’enseigne doit faire face à la baisse des volumes. Détenue par un fonds de pension, elle a pour impératif de rester rentable, quitte à faire des économies.

Annie, mère de famille nombreuse, a retrouvé le sourire : après plusieurs semaines d’absence, les sachets de pommes noisettes qu’elle achetait pour un prix imbattable (1,99 € le kilo) sont enfin de retour dans les bacs congélateurs de son Picard francilien. « Steaks hachés, légumes, voire plats cuisinés… pas mal de produits manquent en revanche toujours à l’appel », grince-t-elle, en balayant du regard « son » magasin quasi désert, en ce mardi matin.

Alors que pendant la crise sanitaire les Français s’étaient rués sur les surgelés, le marché du froid revient petit à petit à la normale. Picard Surgelés, l’une des enseignes préférées des Français, n’y échappe pas : sur l’exercice allant de mars 2022 à mars 2023, le chiffre d’affaires (1,7 milliard d’euros) a progressé de 1 %, boosté par l’ouverture de 40 nouveaux points de vente. À magasins constants, « les recettes sont donc plutôt stables », consent le directeur financier, Guillaume Degauque. Et si l’on tient compte du fait que l’inflation alimentaire s’est envolée de 20 %, cela signifie que les volumes, eux, sont en recul de – 6 %, selon nos informations.

Des prix en hausse de 16 %

Certes, les formules express individuelles, vendues à prix doux (2,99 €) continuent à cartonner, mais les clients se détournent des produits qui ont flambé — c’est le cas des steaks hachés (qui ont pris 2 €), et surtout du poisson. « Avant, j’écoulais un carton de rougets par semaine, je suis passé à un par mois », atteste un directeur du nord de la France. « Oui, nos prix ont progressé de 16 % dans un marché à + 20 %, mais nous avons réussi à garder les 1,4 million de nouveaux clients gagnés pendant la crise du Covid », défend la directrice marketing et produits, Delphine Alazard-Courtier.

« Les ruptures de stock, surtout, sont nombreuses. Chez moi, elles avoisinent 10 %, et les gens s’en plaignent », poursuit notre directeur de magasin. La faute en 2022 à la guerre en Ukraine, puis à des récoltes insuffisantes du fait de la météo. « Or pour les fruits et les légumes, notre cahier des charges est exigeant », insiste Delphine Alazard-Courtier. Une gérante basée dans l’Est confirme, tout en avançant une explication complémentaire : « Certains de nos 300 fournisseurs sont en conflit avec Picard, qui serre trop les prix, car son aiguillon est le maintien d’une forte rentabilité ».

Si l’existence de tels bras de fer est vigoureusement rejetée par les responsables de l’enseigne, il n’en demeure pas moins que, dans cette société non cotée — et qui n’a donc, si l’on ose dire, aucune obligation de dévoiler ses recettes de cuisine — on aurait pu s’attendre à ce que le résultat baisse, dans la foulée de la chute des volumes. Et ce, d’autant plus que le budget électricité de ce pro du surgelé, lui, a forcément bondi. Eh bien, non ! « Cette hausse de l’électricité nous impactera, mais seulement dans le budget à venir », précise le directeur financier, qui confirme que le résultat de la société a encore progressé de 4 %.

Réduction des coûts… et des portions

« Cette performance n’a pu être obtenue qu’en réduisant d’autres coûts, notamment sur les matières premières et le sourcing », en déduit un expert. Des exemples ? Les sachets de cabillaud sont passés de 1 kg à 800 g (avec 1 € de plus au kilo) ; les sachets de framboises ont suivi la même évolution (avec une envolée plus forte encore du prix au poids) — des exemples types de cette « shrinkflation » partout très à la mode. « Pour ce qui est des framboises, nous nous adaptons aux nouvelles habitudes alimentaires, car les gens font moins de confitures, par exemple. Globalement, ils recherchent des petites portions, qui constituent une vraie réponse à l’inflation », déroule la directrice marketing.

Mais certains responsables de magasin pointent aussi ces labels MSC Pêche durable qui ont parfois disparu sur le cabillaud, ces recettes dans lesquelles la truite fumée a succédé au saumon, ou encore ce melon en billes français qui provient désormais du Maroc — dans ce dernier cas, « le producteur français a fermé », rétorque-t-on chez Picard. Autant d’évolutions récentes qui n’ont pas échappé aux clients fidèles : dans le dernier classement OC&C des enseignes préférées des Français, même si Picard Surgelés reste bien classé (il passe de la 1 re à la 3 e place), pour ce qui est de la « qualité produit », il ne se trouve en revanche qu’en 9 e position, très loin derrière le gagnant, Grand Frais.

Côté économies, la CGT regrette pour sa part que certains magasins « n’aient pas été rénovés depuis 2012 ». « Dans cette entreprise très endettée depuis 2003, et détenue à 51 % par un fonds de pension, Lion Capital, la priorité est de payer les actionnaires », abonde Josué Schandel, du syndicat FGTA-FO, qui souligne « qu’un tiers des résultats environ va aux dividendes, tandis que la part dévolue aux dépenses de personnel est bien inférieure chez Picard que dans les autres commerces de détail (chiffres 2021) ». Sans se prononcer sur cette dernière donnée, la direction rétorque que, si l’on intègre les deux mois de participation, l’intéressement et les primes, les 7 000 salariés sont « presque payés sur 16 mois ». Par ailleurs, « exception faite de Paris, le turn-over reste dans la ligne du secteur ».

Les fans toujours nombreux

« Aujourd’hui, Picard est à un tournant, décrypte notre expert, car les enseignes spécialisées qui s’en sortent sont celles qui gardent leur spécificité, et notamment leur caractère premium. Le risque serait que Picard ne se différencie plus suffisamment de la grande distribution classique. » Voilà l’un des défis majeurs que devra relever la nouvelle directrice générale (venue de Franprix), Cécile Guillou, qui aura également pour mission de remotiver les hauts cadres de la société, un temps chahutés par la précédente équipe.

Et 2024 se dessine, stratégique : c’est l’an prochain que l’homme d’affaires Moez-Alexandre Zouari (franchisé Casino, patron de Stokomani, etc.), actionnaire de Picard Surgelés depuis 2020 (à 49 %), doit dire s’il souhaite racheter les parts de Lion Capital. « Nous avons pris des engagements et prendrons le contrôle en temps opportun courant 2024 », nous affirme-t-il. La direction, de son côté, rappelle que même s’il faut faire face à la crise de l’inflation, la rentabilité comme la trésorerie élevée de l’entreprise permettent d’envisager l’avenir avec sérénité.

Dans le court terme, toutes les équipes sont mobilisées à la veille d’une autre échéance stratégique, celle de Noël. « Nous créons 250 innovations chaque année, et 70 rien que pour cette période, qui doit rester une fête », sourit Delphine Alazard-Courtier. Une fête, comme l’est d’ailleurs — on l’a récemment vu à Montpellier (Hérault) ou à Clamart (Hauts-de-Seine) — chaque ouverture d’un magasin de l’enseigne au logo bleu en forme de glaçon, tant les fans du leader du surgelé sont toujours nombreux.

Odile Plichon

Source et lien : leparisien.fr